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filpac Gascogne Mimizan
25 février 2012

Les accords compétitivité-emploi : la fin du code

Les accords compétitivité-emploi :
la fin du code du travail ?

vendredi 24 février 2012

De l’intervention de Nicolas Sarkozy dimanche 29 janvier, beaucoup de médias ont surtout retenu, outre la TVA sociale, la remise en cause des 35 heures. Ils ne se sont pas appesantis sur les conséquences directes des accords compétitivité-emploi prônés par le pouvoir en place. Pourtant, la volonté de permettre aux partenaires sociaux de déterminer ensemble la durée maximale de travail par entreprise se situe au cœur d’une remise en cause globale du droit du travail.

Le but de l’accord compétitivité-emploi est d’autoriser les représentants syndicaux et les directions à signer des accords d’entreprise dérogeant au code du travail, notamment sur la question du temps de travail et des salaires, et n’ayant plus besoin d’un avenant au contrat de travail signé par les salariés pour être valides. Cette idée n’est pas neuve : elle est portée depuis longtemps par le patronat, la droite, mais aussi les sociaux-libéraux. En affichant une volonté d’améliorer les relations sociales entre les salariés, leurs représentants et le patronat, c’est en fait une véritable casse du modèle social français qui est en train de se mettre en place. Avec comme axe central la supériorité du contrat sur la loi.

Deux mois. C’est le délai fixé par Nicolas Sarkozy pour que les syndicats parviennent à un accord interprofessionnel. Deux mois pour donner le dernier coup de marteau permettant de détruire le modèle social français et de le rapprocher du modèle ultra libéral anglo-saxon. Permettre aux accords d’entreprise de déroger au code du travail et d’avoir valeur de loi. Autoriser les directions des entreprises à augmenter le temps de travail et à réduire les salaires sans accord du salarié. Le Medef en rêvait, Sarkozy est en train de le faire.

Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord, « un projet de loi sera déposé » a prévenu le gouvernement. Cette annonce n’a pas de quoi surprendre. Ce projet de loi était en effet déjà prévu dans la convention sur l’avenir de la démocratie sociale de l’UMP en juillet dernier. Le texte qui en a été issu résume l’avenir que promet la droite à notre pays : c’est à la constitution elle-même que l’UMP veut s’en prendre. « L’objectif : responsabiliser les partenaires sociaux en revenant à la lettre de l’article 34 de la Constitution qui prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale », décrétait à l’époque l’UMP.

Le PS reste pour le moment très peu offensif envers les accords compétitivité-emploi, contestant surtout le faible délai accordé aux syndicats pour se mettre d’accord. Cela peut se comprendre : le candidat à l’élection présidentielle François Hollande ne disait pas autre chose dans une tribune dans Le Monde parue en juillet dernier quand il proposait que « le gouvernement et le Parlement (soient) juridiquement liés par le contenu de conventions signées entre partenaires sociaux sur des sujets bien précis et avec la vérification des mécanismes de représentativité ». Concrètement, M. Hollande souhaite que les accords collectifs puissent déroger au droit du travail s’ils sont soutenus par une majorité de syndicats, y compris dans un sens qui ne soit pas plus favorable aux salariés. C’est exactement ce que propose Sarkozy aujourd’hui.

Sur ce sujet comme sur bien d’autres, l’ancien premier secrétaire du Parti Socialiste et l’UMP défendent donc la même analyse. Ils sont encouragés en ce sens par le patronat. « S’il y a un nouveau pas à franchir dans le dialogue social, c’est celui de la constitutionnalisation du dialogue social », affirme par exemple la présidente du Medef Laurence Parisot. Elle s’est d’ailleurs félicitée à l’époque que François Hollande ait « repris une proposition de Besoin d’air », le manifeste du Medef publié en 2007. Le député PS avait également reçu le soutien appuyé de l’ancien président de Démocratie Libérale Alain Madelin, dans un texte publié dans le quotidien La Tribune.

Rompre avec la hiérarchie des normes

En France, le code du travail est une protection qui permet de contrebalancer le lien de subordination du salarié vis-à-vis de l’employeur. Depuis sa naissance il y a un siècle, il n’a cessé d’être attaqué par le patronat, qui y voit un cadre trop rigide. « La liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail », a déclaré Laurence Parisot [5] qui s’est toujours battue pour l’altérer. Elle a, dans cette lutte contre les salariés, un outil très utile, car à double tranchant : la démocratie sociale.

Celle-ci naît en France avec la loi du 11 février 1950 sur la liberté de négocier les salaires, les conditions de travail et les conventions collectives. « Le terme de démocratie sociale (qualifie) le mode de relations qu’établissent employeurs et salariés pour régler leurs affaires et dégager les équilibres et compromis utiles à l’organisation du marché du travail. La politique contractuelle et son prolongement naturel, le paritarisme, se trouvent ainsi invités à s’inspirer, dans leur fonctionnement, des règles de la démocratie politique, notamment celles de l’élection et du vote majoritaire ».

La droite s’est engouffrée dans cette brèche avec la Loi du 4 mai 2004 qui introduit une rupture fondamentale dans la hiérarchie des normes et dans le principe de faveur. Elle permet en effet aux accords d’entreprises, qui résultent d’une négociation collective entre employeurs et syndicats de salariés au sein d’une entreprise, de déroger aux accords de branches, qui sont conclus dans le cadre d’une branche de travail et harmonisent donc les conditions de travail au sein d’une profession, même si ces derniers sont plus favorables.

La hiérarchie des normes établissait jusqu’alors la supériorité de la loi sur les accords de branche, et des accords de branches sur les accords d’entreprises. Des contrats individuels ou collectifs pouvaient déroger à cette disposition uniquement s’ils étaient plus favorables au salarié. La remise en cause de ce principe de faveur par le législateur transfert un pouvoir normatif aux partenaires sociaux et affaiblit donc la protection offerte aux salariés par le code du travail.

Désamorcer le conflit de classe dans l’entreprise

Les aspects progressistes du dialogue social sont ainsi utilisés par le patronat pour défendre la supériorité du contrat sur le droit réglementaire en assimilant la démocratie au sein de l’entreprise à la démocratie politique. Cette volonté se situe dans la lignée des évolutions de la politique française depuis le tournant de la rigueur de 1983 : la frontière entre les deux partis majoritaires tend à disparaître dans la conviction que le clivage gauche droite serait dépassée et que les solutions aux problèmes des Français se trouveraient dans la culture de la négociation, du compromis et du consensus. Ce refus du conflit de classe a conduit, en France, à une hausse massive de l’abstention et à une défiance grandissante des citoyens vis-à-vis de leurs élus, qu’ils ne sentent plus capables de représenter l’intérêt général.

La réforme du droit du travail souhaitée par l’UMP et le PS vise à aller plus loin en désamorçant le conflit de classe au cœur même des entreprises. Les socialistes se sont ralliés à l’idée selon laquelle les salariés et les directions des entreprises partageraient des intérêts communs, et que les progrès sociaux découleraient donc de la négociation aboutissant à un consensus entre les acteurs du dialogue social. Jusqu’à présent, les progrès sociaux ont pourtant toujours été issus des luttes sociales et de la loi (congés payés, réductions du temps de travail, retraites, salaires minimums, création des comités d’entreprise et de la sécurité sociale, etc.) et non de la négociation collective.

Le dialogue social est là seulement pour renforcer les garanties déjà présentes dans le droit du travail. Fixer une autonomie normatives aux acteurs du dialogue social comme le souhaite François Hollande, et comme l’avait auparavant proposé Jacques Chirac et Ségolène Royal, revient à parachever la fin d’un des principes fondateurs de la République française selon lequel « la souveraineté réside dans le peuple ; elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable ».

La négation d’un siècle de luttes sociales et syndicales

Les défenseurs d’une supériorité des résultats du dialogue social sur la loi considèrent que syndicats et dirigeants d’entreprise sont sur un pied d’égalité dans la discussion. Pourtant, « le manque de formation des délégués syndicaux et la menace de licenciements économiques peuvent les amener à signer des accords dérogatoires parfois très défavorables aux salariés ». Oublier le rapport de force entre les propriétaires des moyens de production et les salariés obligés de vendre leur force de travail pour vivre, c’est nier un siècle de luttes sociales et syndicales.

Et c’est oublier que le rapport salarial est d’abord un rapport de dépendance. C’est ainsi que, par exemple, le montant de la nouvelle prime mise en place fin 2011 et versée aux salariés en cas d’augmentation des dividendes est fixée par la négociation collective et non pas par la loi. C’est ainsi également que le PS proposait il y a quelques mois d’imposer un salaire maximum uniquement dans les entreprises détenues en partie par l’Etat, car la négociation syndicale suffirait de toute manière à l’imposer dans les autres. Cette fausse confiance accordée aux syndicats permet de vernir le discours libéral d’une couche progressiste.

François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, affirme souhaiter que la Constitution « reconnaisse l’existence et le rôle des partenaires sociaux ». Espérons que la CFDT n’ira pas plus loin : contrairement à la CGT, le syndicat avait soutenu le Medef dans son projet de refondation sociale de 1999. Et il s’est opposé pour l’instant un peu timidement à la proposition sarkozyste d’accords compétitivité-emploi. Le gouvernement drague comme il peut ces syndicats : les deux principaux textes servant de bases aux négociations actuelles sur la refondation du droit social visent à renforcer les syndicats majoritaires, qui peinent à recruter des adhérents (seulement 8% des salariés sont syndiqués en France, soit le taux le plus bas en Europe).

Le rapport du Conseil d’analyse économique et social considère par exemple que « le développement de la syndicalisation doit être favorisé » pour que des accords collectifs puissent être signés dans de bonnes conditions et puissent ainsi déroger à la loi, y compris dans un sens qui ne soit pas plus favorable aux salariés.

Cet objectif sert à convaincre la CFDT et la CGT de l’intérêt pour eux d’une telle réforme : davantage de poids par rapport aux syndicats moins implantés, dans la lignée de la Loi du 20 août 2008 qui a supprimé la présomption de représentativité dont bénéficiaient les cinq centrales nationales interprofessionnelles (CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC, CFE-CGC).

Depuis cette loi, sont représentatifs uniquement les syndicats ayant recueilli au moins 10% des suffrages exprimés. L’effet a été immédiat : par exemple, à la SNCF, FO, la CFE-CGC et la CFTC ont disparu de la table des négociations dès les élections de mars 2009 . Le rapport du Conseil d’analyse économique et social propose d’aller plus loin : les syndicats non représentatifs n’auraient également aucun élu au Comité d’entreprise.

Le rapport de l’institut Montaigne, think thank libéral dirigé par le président d’honneur du groupe Axa Claude Bébéar, propose quant à lui de « valider les compétences transférables acquises au cours des fonctions de représentant du personnel » et d’ « accompagner systématiquement la prise de fonction par une formation sur les dimensions stratégiques, économiques et juridiques qu’il est nécessaire de maîtriser pour assurer ces nouvelles responsabilités ».

En bref, le patronat compte faire peser dans les négociations de réelles avancées pour les grandes organisations syndicales. Et ainsi tenter de les convaincre d’achever définitivement le processus d’inversion de la hiérarchie des normes, principale ossature de notre modèle social. La France se soumettrait alors une fois de plus à la volonté de la Commission européenne de rendre le droit du travail le moins contraignant possible pour les entreprises.

Espérons que les syndicats sauront tout mettre en œuvre pour résister et que la France ne suivra pas le chemin de l’Allemagne, qui n’a pas de code du travail, où la durée du temps de travail est fixée par branche, et où la culture de la négociation a amené d’importantes régressions sociales. Le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder a notamment été jusqu’à imposer des contrats payés 1 euros de l’heure aux allocataires de l’assurance chômage .

Par Guillaume Etievant, économiste, expert auprès des Comités d’entreprise, membre de la Fondation Copernic

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